Tout commença en1966, trois avant la sortie de Tommy. Pete Townshend, le fantastique guitariste et leader du groupe The Who, apporta à son manager un enregistrement ayant pour nom « Gratis Amatis ». C’était, en fait, une chanson où des voix haut perchées chantaient pendant 10 minutes le titre de la chanson. Tout le monde explosa de rire car il était clair que l‘interprétation qui donnait l’impression de durer une heure, était nulle… En plaisantant, Kit Lambert, le manager dit : « C’est un opéra-rock ! ». Sans le faire exprès, cette boutade germa dans sa tête et il pensa qu’il y avait peut-être là une nouvelle idée à creuser…
Townshend, séduit, voulu une histoire qui serait en fait une espèce de métaphore de sa vie personnelle. A cette époque, le leader du groupe était en effet entrain de se sevrer des diverses drogues ingurgitées jusqu’alors. Parallèlement, il découvrit aussi le mysticisme et se rapprocha tout particulièrement d’un certain Meher Baba, une sorte de guide spirituelle indien.
Ce dernier lui enseigna que nous possédions nos cinq sens mais que nous étions aveugles dans le domaine de la Réalité et de l’Infini. Townshend s’inspira de ce principe pour imaginer un Opéra Rock dont le héros, Tommy, sourd, muet et aveugle (Death, dumb and blind boy) serait en fait une représentation très accentuée de nous-même vis-à-vis de cette Réalité ou de cet Infini (il faut suivre…).
Une fois l’idée en tête, les 4 membres eurent un mal inimaginable à composer. Personne n’étai d’accord sur le fond et encore moins sur la forme : fallait-il la présence de violons, voire d’un orchestre entier pour donner une envergure irréelle ? Fallait-il mettre engager d’autres musiciens pour étoffer le contenue ? Bref, un tas d’interrogation qui faisait que chacun avait son idée sur la chose (y compris le manager) mais que personne ne voulait faire de concession…
D’ailleurs nos 4 compères passèrent beaucoup plus de temps dans le bar du coin à disserter sur Tommy que dans le studio où ils n’enregistraient rien de bien concret… Pour corser le tout, le groupe était obligé de faire des concerts pour pouvoir avoir des rentrées d’argent assez conséquentes pour mener à bien leur projet un peu fou.
Les choses avançaient à petits pas mais le déclic vint véritablement avec la chanson « Pinball Wizard » (le Magicien du flipper). En fait, The Who devaient au moins se mettre quelqu’un dans la poche pour appuyer leur boulot. Ils choisirent donc de faire appel à un des grands rock-critics de moment : Nic Cohn.
Ce dernier fut séduit mais pas convaincu. Or, Townshend savait que ce dernier était absolument passionné par les flippers. Le guitariste eut donc la bonne idée de lui dire que Tommy serait un virtuose du flipper et qu’une chanson, en cours de composition, était totalement dédié à ce merveilleux sport qu’est le flipper. Le nom de cette dernière serait Pinball Wizard !
Tout à coup, ce qui ressemblait à un bon petit projet et à une bonne idée était devenu, pour Cohn, un futur chef-d’œuvre, un « masterpiece » !
Townshend se précipita alors chez lui pour écrire LA fameuse chanson. Ses paroles sur le sujet furent d’ailleurs très éloquentes : « Mon Dieu, je pensais que cette chanson était la plus lourde, la plus maladroite, la plus niaise que j’avais écrite » du fait notamment des paroles, il est vrai un peu bateau (Ever since I was a young boy, I played the silver ball, from Soho down to Brighton I must have played them all…).
N’empêche que cette chanson reste une de mes préférées des Who (avec l’inévitable My Generation) et l’ingénieur du son était lui aussi persuadé que cette chanson serait un futur hit.
Les chansons, à partir de cette dernière, découlèrent plus facilement et on commençait, enfin, à y voir plus clair.
D’autre part, ce qui aida aussi considérablement le groupe est que Lambert avait écrit le script de Tommy. Jusqu’ici les musiciens n’étaient pas vraiment sur de l’histoire et ce script leur donna la véritable direction.
Cette histoire justement avait de quoi choquer certains. Celle d’un jeune homme Tommy devenu sourd, muet et aveugle, à la suite d’un traumatisme occasionné par l’insistance de ses parents à lui faire oublier le meurtre de l’amant de sa mère, dont il a été le témoin. Il souffre du fait que ses cousins se moquent de lui (il ne peut même pas jouer à cache-cache) et se fait abuser sexuellement par son oncle. Apparemment incurable, il parvient néanmoins à voir son image se refléter dans le miroir. Il atteint la célébrité en devenant imbattable au flipper grâce à son sens du toucher. Sa mère brise alors le miroir. Guérie, il se prend pour un messie et fait des adeptes : il prêche pour une communauté installée dans un camp de vacances et offrent des flippers à ses fidèles qui le rejettent finalement. Tommy est de nouveau isolé mais, cette fois, le « Magicien du flipper » est libre.
Lorsque le disque sorti, il y eu 2 camps très distincts chez les critiques : ceux criant au chef d’œuvre et les autres, spécialement choqués par le sujet, notamment par les rapports entre l’oncle et Tommy (ce qui est compréhensible).
Cependant, The Who, un simple groupe écrivant de bonnes chansons, était soudainement devenu le meilleur groupe de rock au monde. Townshend n’était plus un sympa song-writer mais bien un compositeur hors pair !
Succès incroyable, ventes colossales. L’opéra rock était né sous son plus beau jour, même si, il faut le souligner, les Pretty Things avaient auparavant tenter quelque chose dans le même genre mais sans vraiment de succès.
Le groupe devint aussi un formidable groupe de scène, une machine, certains osant même qualifier leurs prestations de meilleures de tous les temps. On se demande encore comment un groupe « normal » (guitares, basse, batterie) pouvait émettre un tel son. On venait voir Tommy en famille et certains n’étaient même pas au courant que le groupe s’appelait The Who et que ce n’était pas leur premier cd, pour eux c’était Tommy, preuve d’un succès plus que retentissant !!!
Un succès amplement mérité pour ce très très grand groupe. Tommy est tout simplement, à mes yeux, un chef d’œuvre. Chef d’œuvre d’inventivité et de musicalité. La voix de Roger Daltrey n’a jamais été aussi belle et tout le monde frissonnait lorsqu’il chantait sur scène : « Feel me, See me, Touch me, Heal me… ».
Je vous conseille aussi de l’acheter (plutôt que de le graver) car il n’est pas cher (8 euros) et qu’il FAUT absolument lire les paroles pour saisir toute l’envergure de l’œuvre.
Plus qu’un disque de rock, ce cd est une histoire formidablement ciselée où les lyrics sont plus importants que la musique et la musique plus belle que tout ce qui a pu être tenté auparavant.PJ (29/09/2003)